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L’opposant sénégalais Karim Wade, dans une allocution filmée et diffusée le 1ᵉʳ janvier 2024.
Karim Wade a parlé. Le fils et ancien ministre de l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade, qui ne s’exprimait plus, depuis huit ans, que par des déclarations transmises aux médias ou publiées sur les réseaux sociaux, est sorti de sa réserve pour le Nouvel An. « Mon exil touche à sa fin », a déclaré, dans une allocution filmée, le candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) à la présidentielle de février.
Condamné en 2015 à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende (209 millions d’euros) pour enrichissement illicite avant d’être gracié, Karim Wade n’a plus foulé le sol sénégalais depuis son départ, « forcé » selon ses termes, pour le Qatar en juin 2016. Dans son discours de treize minutes aux airs d’adresse présidentielle, il n’a pas précisé la date de son retour. Mais à deux mois du scrutin, le PDS reprend espoir. Une ferveur qui n’est pas sans rappeler l’enthousiasme qui régnait dans ses rangs entre 2000 et 2012, sous la présidence d’Abdoulaye Wade.
Le parti a renouvelé ses instances, et les réunions s’enchaînent pour préparer la présidentielle et l’investiture de son candidat. Karim Wade s’était déjà présenté à la présidentielle de 2019 avant d’être débouté par le Conseil constitutionnel pour inéligibilité à cause de sa condamnation par la Cour de répression de l’enrichissement illicite. Mais il peut envisager plus sereinement le scrutin de 2024. Une réforme électorale, adoptée à la suite du dialogue national convoqué en juin par le président Macky Sall, lui permet de concourir.
Car, s’il est resté en retrait des débats politiques depuis son exil, l’ancien « ministre du ciel et de la terre », comme le surnommaient ses détracteurs, en référence à ses nombreux portefeuilles (coopération internationale, transports aériens, infrastructures et énergie), ne s’est pas uniquement consacré à ses activités dans les finances à Doha, où ses proches le disent très sollicité. Loin de Dakar, mais en contact constant avec ses partisans, il n’a cessé d’accroître son emprise sur sa formation politique.
Pourtant, peu de barons du parti auraient parié sur ce jeune banquier décrit comme « effacé », « engagé sans être militant », revenu de Londres à la faveur de l’accession au pouvoir de son père et « distributeur des sachets d’argent » aux responsables politiques locaux lors des différentes campagnes électorales.
Même Abdoulaye Wade a douté. « Vous risquez de finir par me faire croire le contraire, mais Karim n’est pas capable de faire de la politique », avait-il confié, lors d’une réunion restreinte au palais présidentiel. Une déclaration prémonitoire : quelques mois plus tard, Karim Wade, présent sur les listes municipales du PDS pour la ville de Dakar en 2009, était battu jusque dans son bureau de vote. Sa première et dernière expérience électorale.
« Rigoureux » et « très organisé » selon ses anciens collaborateurs, mais inexpérimenté, l’homme politique s’est aguerri avec les années. De simple sympathisant, il est passé à premier secrétaire général national adjoint du parti chargé de l’organisation, de la mobilisation et de l’élaboration des stratégies politiques en 2019. Une ascension jalonnée d’accusations de favoritisme. « Il aurait fallu qu’on reconnaisse la valeur des gens par le mérite et non par le copinage et la proximité avec le sommet », fustige un ancien cadre démissionnaire du PDS.
Comme ce dernier, plusieurs autres responsables de la première heure sont partis, montrant du doigt la gestion de Karim Wade et surtout la montée en grade des membres de son ancien mouvement politique, la « Génération du concret », créé en 2006 sur les flancs du PDS. « Beaucoup lui ont donné des pouvoirs qu’il n’avait pas alors que c’était juste un mouvement que Karim avait parrainé pour attirer tous ceux qui étaient à la périphérie du parti », explique Lamine Ba, un des pionniers de la « Génération du concret », aujourd’hui président de la Fédération des cadres du PDS.
Mais, dans l’entourage d’Abdoulaye Wade, beaucoup se sont méfiés. « C’est une menace réelle pour le parti et sa cohésion », alertait en 2008 Moustapha Diakhaté, un ancien du PDS aujourd’hui rallié à la majorité présidentielle et parmi les premiers responsables à demander ouvertement la dissolution de ce courant de soutien. « Karim est parvenu à déwadiser le Parti démocratique sénégalais avec ses soutiens karimistes », renchérit, très critique, Babacar Gaye, ancien ministre et directeur de cabinet d’Abdoulaye Wade. « Je ne vois pas quelqu’un de la “Génération du concret” qui a eu un quelconque privilège dans le parti », rétorque Lamine Ba.
Malgré tout, Karim Wade semble avoir pris la mesure des frustrations accumulées. Il compte sur l’union des anciens camarades toujours acquis à la cause de son père pour remporter l’élection de 2024. Avec ses proches, il a élaboré une longue liste de cadres à ramener au bercail. Plusieurs responsables du temps de l’âge d’or du PDS ont répondu positivement à cette demande de réconciliation à l’instar de Sada Ndiaye, ancien député et ministre. « C’est lui-même qui a appelé mais il a d’abord envoyé des émissaires, l’un pour le représenter et l’autre pour son père », précise-t-il.
Abdoulaye Wade est toujours, à 97 ans, le secrétaire général du parti. « Le président reste l’inspirateur, l’ordonnateur et le maître suprême [du PDS], mais il est âgé, nous ne l’exposons plus », résume Mamadou Lamine Thiam, directeur du parti et président de la coalition du PDS à l’Assemblée nationale. Un héritage politique que son fils n’hésite plus à revendiquer. « C’est un des meilleurs atouts d’être fils d’Abdoulaye Wade, estime Mamadou Lamine Thiam. Si on a la possibilité de capter le capital sympathie et l’aura de Wade pour faire gagner le PDS, c’est vraiment légitime. »
Moussa Ngom
Le Monde.fr
Written by: Admin
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